Contribution proposée par Philippe Boyer :
Pour rebondir sur la dernière discussion lors de notre cercle de réflexion bien aimé... Je n'étais pas présent (désolé....) mais on ne peut rester insensible à ce thème de la "vérité" et des "fake news" sur internet. Cette petite contribution ci dessous qui tente de décrire ce phénomène des « fake
news » qui sème le trouble et remet en cause la confiance accordée aux réseaux
numériques. (pour mémoire, je l'avais publié en février dernier mais il reste encore d'actu... Je me permets donc de le mettre en ligne sur notre super blog)
En
1916, l’écrivain italien et prix Nobel de littérature, Luigi Pirandello, faisait
paraitre sa pièce de théâtre « Chacun
sa vérité » ou comment, dans une petite ville italienne, l’arrivée
d’un fonctionnaire distant et taciturne provoque les spéculations les plus
incroyables en créant deux clans : ceux qui croient le nouvel arrivant coupable
de séquestrer sa belle-mère et sa femme et les autres qui reportent la folie
sur la seule belle-mère, innocentant le fonctionnaire. A un moment clé de la
pièce, deux personnages ont cet échange qui, au regard du débat actuel sur les
fake news (fausses
informations) qui envahissent internet, renvoi à la problématique du vrai et du
faux, le second gagnant dangereusement du terrain sur le premier : « Mais alors, d’après vous, on ne pourrait
jamais savoir la vérité ? … Alors, si on ne peut plus croire à ce qu’on voit et
à ce qu’on touche ! »… « Mais si, madame, il faut y croire.
Seulement, je vous dis : respectez ce que voient et ce que touchent les autres,
même si c’est le contraire de ce que vous voyez et de ce que vous touchez
vous-même».
Depuis les derniers suffrages
au Royaume-Uni (Brexit) et aux Etats-Unis (élections présidentielles), le débat
démocratique a porté sur le rôle des réseaux sociaux et la façon dont ces
derniers influencent l’opinion publique. Avec la victoire de Donald Trump,
Facebook ayant été au centre de toutes les critiques obligeant son fondateur, Mark
Zuckerberg, à monter au créneau pour réfuter cette conclusion « dingue »[1] que le
premier réseau social mondial avait influencé le vote du fait que les utilisateurs
de ce réseau social sont effectivement moins enclins à cliquer sur des liens ou
à lire des articles partagés si ces derniers ne correspondent pas à leurs
opinions personnelles. Dit autrement, les algorithmes de Facebook ayant
tendance à enfermer les utilisateurs dans des « univers numériques filtrés »
proposant une vision du monde conforme à leurs croyances et à leurs convictions.
Telle est la thèse défendue par la rédactrice en chef du Guardian publiée l’été
dernier dans un long article sur la technologie et la vérité[2].
La faute aux seuls réseaux sociaux ?
Alors que les
« fake news » colportées
sur les réseaux sociaux ont perturbé la campagne électorale américaine, l’heure
est à la mobilisation générale des géants du Net, des grands acteurs de la
presse et des gouvernements pour tenter d’endiguer ce phénomène qui sape les
principes démocratiques. Face à cela, les tentatives de réponses prennent des
formes variées : appels au signalement de fausses informations par les
utilisateurs Facebook grâce à un petit drapeau rouge[3] et à une
modification de son algorithme[4] (Google
ayant quant à lui développé un outil de « fast checking » au sein de
Google News), création de pages internet dédiées à l’instar de Decodex[5] mise en
ligne il y a quelques jours par Le Monde ou de l’initiative de CNN de recruter
un journaliste intégralement dédié à démêler le vrai du faux[6]. De
leurs côtés, les pouvoirs publics (en France, le ministère de l’Intérieur et
les agences spécialisées) insistant pour rencontrer les représentants des GAFA
afin de les inciter à prendre des mesures en prévision des futures élections du
printemps[7]. Si les
réseaux sociaux sont certes en première ligne pour agir contre ce fléau du
« faux », d’autres voix se font entendre pour rappeler que c’est un
ensemble de conditions convergentes qui sont aujourd’hui à l’origine de ces
temps où il devient de plus en plus difficile de savoir qui dit la vérité[8]. Pour Jayson
Harsin, universitaire américain spécialiste en communication, ces dérives
seraient dues de la fragmentation des médias, du flot ininterrompu de
l’information ainsi que des algorithmes qui organisent et « servent »
l’information en fonction des lectorats. Pour Harsin, le « fast
checking », cette pratique qui consiste à vérifier les arguments, ne peut
endiguer ce règne du « faux » et partant cette remise en cause des
médias « classiques » débordés par un tsunami de données dont il est
difficile de contrôler la véracité. Et d’ajouter, qu’« il n’y aurait plus de vérité vérifiable,
notamment parce qu’il n’y a plus d’autorité de confiance ».
Que faire ?
Sans négliger la
portée des récentes initiatives des acteurs du numérique, des médias et des
autorités politiques destinées à éveiller les consciences numériques des
internautes citoyens tout en mettant en place des outils de contrôle, faisons le
pari que la technologie, souvent vue comme la seule coupable, pourrait aussi
faire partie de la solution des errements qu’elle enfante. De quelle
façon ? Pour quelques chercheurs spécialisés sur les sujets d’intelligence
artificielle, il devrait être possible de créer des moteurs de recherche
générant des résultats triés en fonction des arguments « pour »
et « contre » ; sorte de cartographie des controverses,
telle qu’enseignée à Science-Po[9].
D’autres[10]
estimant que de futurs logiciels seraient à imaginer pour automatiquement
procurer à leurs utilisateurs des arguments destinés à lutter contre la
propagation d’informations fallacieuses en analysant au passage la tonalité des
arguments utilisés. Loin de toute technophilie béate se basant sur la seule
capacité des machines à résoudre nos maux, l’essentiel, et c’est tant mieux,
reste et en revient à l’Homme. A charge pour ce dernier de s’informer en
citoyen éclairé et de confronter ses opinions pour ne pas s’enfermer dans une
vision manichéenne. Bref, de faire le pari que la raison ne triomphe qu’en
étendant son empire.
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