Essai
de manifeste.
(Première
chronique prudemment proposée par Christian Gatard en attendant que d’autres
s’y mettent)
juin 2017
Considération sur la prolifération des mèmes mutants
Prenez une table et mettez-nous
autour. Sur la table, le pain et le vin. Rarement du papier et des crayons. Des
pâtes fraîches dans des boites plastique qu’on porte au micro-onde dans la
salle d’à-côté. Qui s’y colle ?
Les Mardis procèdent d’un rituel,
d’un rythme, d’un rire. Il y a les trois bouteilles de Bordeaux – au temps pour
le rituel ; fixer les rendez-vous peut s’avérer prise de tête mais il faut
garder le rythme mensuel ; le rire est la posture favorite, la tristesse
n’est pas de mise dans ces assises, on n’est pas au bureau des pleurs – ( je ne dis pas que ça ne cache pas parfois de
profondes angoisses mais nous sommes entre gens bien élevés...)
Les Mardis du Luxembourg, donc.
Ils carburent à la conversation.
La conversation comme mode de cuisson.
Récemment on a mis les
œufs sur la table. C’est-à-dire que François Laurent a proposé ça comme thème
de réflexion. Mais pas comme ça, en l’air. Peut-être avait-il lu Comment les systèmes pondent de Pascal
Jouxtel. Jouxtel est le théoricien français de la mèmétique. François est le
fondateur des Mardis. Normal qu’hommage lui soit rendu dans cette première
chronique. Le mème, comme on sait, est l’équivalent du gène dans la culture. Avec
comme conséquence l’idée que toute idée vient de loin, ayant émergée avant
nous, nous ayant rejoint, nous ayant fécondé à notre tour. J’entendais dans sa
proposition que nous étions le relais de l’air de notre temps (comme faire autrement ?) mais que nous
pouvions peut-être donner à ce dernier quelques inflexions nouvelles. Ne pas se
contenter d’être un miroir. Ne pas se satisfaire d’être à l’écoute. Peut-être
faire bouger les lignes. Sans se
faire trop d’illusion : toute conversation est nourrie de l’expérience de
chacun (sorry pour le poncif !).
Mais le mode de cuisson, les ingrédients, les épices peuvent laisser augurer
d’une dégustation, d’une expérience qui renouvellent le genre.
Je ne sais pas si François a lu
Jouxtel mais la métaphore me va. L’idée c’est de pondre, de faire éclore et de
cuire. Puis de faire festin. Voire même table ouverte. Table ouverte,
c’est le principe de ce blog.
En 2016 Les Chroniques de l’intimité connectée (Editions Kawa, Décembre 2016, 25€50) avaient
préfiguré cette idée d’œuf que nous avions couvé. Seize nouvelles balayant le champ de l’anticipation - de la
prévision probabiliste au réalisme magique.
L’éclosion advînt au restaurant L’Hortensia, Place Pereire, à Paris
dans le 17ème arrondissement. C’est chouette de faire allégeance au
banquet comme coutume archaïque quand on fait dans l’anticipation.
Nos banquets ne sont pas des scènes
de théâtre. Rien de m’as-tu vu, d’ostentatoire, non, plutôt une cène tout
occupée d’elle-même, concentrée sur sa tâche, partageant une énergie commune,
une ressource nourricière : le pain, le vin, les pâtes et la conversation.
Rien à voir avec la force centrifuge qui pousse les jeunes à sortir du village
et à conquérir le monde. La force centripète des Mardis, elle, autorise
l’aventurier à poser ses sacs et méditer quelques instants.
En même temps, si Les Mardis du
Luxembourg s’appuient sur la force centripète comme principe moteur… c’est pour
mieux préparer le déferlement centrifuge des lendemains de banquet quand on
repart en guerre.
Après les Chroniques (Editions
Kawa, Décembre 2016, 25€50, quand même un peu cher non ?) on a tenté
de mettre sur la table la blockchain.
Beaucoup moins digeste.
La blockchain a été pendant quelques semaines un sujet à la mode. On
a eu envie de comprendre. On a compris. Plus ou moins. Ce n’est finalement pas
très sexy. A dire vrai après quelques soirées à explorer le sujet on a conclu
que ça ne pouvait guère justifier plus qu’une note de bas de page.
La blockchain
peut-elle faire l’objet d’une leçon d’anatomie ?
La réponse fut non.
Ce n’est pas un jugement de
valeur sur la blockchain, ça permet
juste de mieux qualifier nos fenêtres de tir.
Reprenons l’avant-propos de
François dans Les Chroniques de
l’intimité connectée (Editions
Kawa, Décembre 2016, 25€50 !!!!). Les Mardis du Luxembourg réunissent divers experts indépendants qui se
penchent régulièrement sur les évolutions de notre société, notamment en
matière de consommation, marketing et communication.
Autrement dit tout ce qui fait la société du spectacle cher à Guy Debord
dont la statue de Commandeur pourrit dans le grenier à côté du portrait de
Dorian Gray. Je vais m’expliquer sur cette saillie intempestive.
Toutefois par un petit exercice de
capilotraction dont nous avons le secret nous avons estimé que la blockchain
était une contestation de la verticalité de l’autorité. Nous sommes donc allés
voir du côté de l’autorité, de sa
symbolique, de sa prégnance, de sa déshérence. Nous avons esquissé quelques
recettes de cuisson, quelques menus-dégustation. Quelques reliefs du festin (
dans l’acception La Fontainienne du terme) sont présents dans ce blog.
Nous hésitons encore :
va-t-on en faire un livre ? un spectacle ? sur la double vie de l’autorité :
autorité de casquette et/ou autorité
de charisme ?
Lors de la dernière séance on a
dit qu’on allait travailler sur les « fake news ». Piste logique,
debordienne, le vrai est un moment du
faux.
Je garde des expos, des
documentaires, des livres et des films de et sur Debord l’impression d’un type
prétentieux, exécrable et génial. Je reconnais que sur le papier il y a là une
tension hyper-vendeuse, voire (oserais-je), spectaculaire.
Les Mardis, les conversations sont parfois décousues.
On ne s’écoute pas toujours, les
apartés brisent la cohésion. C’est peut-être le prix à payer pour surfer sur
les ruptures. A être trop linéaire, trop organisé on ne ferait que prolonger
les courbes des choses évidentes. Il m’arrive de m’impatienter mais je ne le
montre pas. Peut-être suis-je trop bien élevé ou est-ce un réflexe
professionnel dont je ne parviens pas à me débarrasser. L’animation de milliers
de réunions de groupe, d’ateliers, de séminaires… depuis des milliers
d’années ?
L’art de la conversation comme prendre le train en marche.
Tout d’abord quand on débarque un mardi (qui
n’est pas toujours un mardi) dans un diner des Mardis (qui n’est plus depuis
longtemps réuni près du Jardin du Luxembourg) on apprend que l’histoire des
Mardis du Luxembourg est très ancienne et que des fondateurs il y en a peu
autour de la table. Beaucoup d’entre nous ont donc pris le train en marche.
Chaque rencontre est une étape. Des voyageurs montent. D’autres descendent. Il
y aurait comme un fil rouge qui serait indépendant de nous, une
méta-conversation qui nous surplomberait et dont nous serions les éphémères soutiers ?
pourquoi pas ? C’est une remarque très mèméticienne.
Quelle mémoire, quelles traces gardons-nous de ces conversations ?
Il y a les productions annuelles,
les bouquins. Très important, ça. Non pas que ces livres soient beaucoup
diffusés ni pour autant qu’Henri Kaufman, qui est des nôtres autour de la table
et notre éditeur chez Kawa (Les Chroniques de l’intimité connectée. Editions Kawa, Décembre 2016, 25€50, quand
même !) ne fasse pas tout son possible. Mais c’est que l’enjeu est
ailleurs. Il est au cœur d’une nouvelle génération d’expériences
intellectuelles et culturelles. Rêver d’être en pile à la FNAC ou en tête des
ventes sur Amazon, c’est un peu comme se regarder dans la glace en se disant
qu’on veut être président. Ce qui ne veut pas dire qu’on ne serait pas content
de tester ce destin parfaitement fanfaron mais ce serait moment faux du vrai.
Je vous laisse méditer sur
cette pirouette.
Et c’est là qu’on approche du
« feu central » de cette aventure, le ressort du scenario, le pitch,
l’énigme.
Les contributions n’ont ni la
vocation à - ni la prétention d’épuiser le sujet traité. Les dîners ne pourront
pas rassasier les soifs d’absolu. La visibilité des Mardis, qu’elle triomphe
dans le microcosme ou s’étale dans le macrocosme, ne pourra pas faire de
l’ombre au sentier qu’elle emprunte. Il faut le dire tout de go, Les Mardis du Luxembourg ont pour fonction
de faire muter les mèmes.
Que dit Wikipedia de la mutation
chez le gène ?
Une mutation
est une modification rare, accidentelle ou provoquée, de l'information
génétique (…) dans le génome.
(La) mutation (…) est l’un des éléments
de la biodiversité et l’un des nombreux facteurs pouvant éventuellement
participer dans l'évolution de l'espèce.
Que peut-on dire de la mutation
chez le mème, le mardi (ou tout autre jour de la semaine) ?
Que nous faisons subir à l’information qui
nous parvient cette petite modification, cette petite inflexion qui fait muter ladite
information et la relance sur la grande roulette cosmique.
Les Mardis du Luxembourg sont des
explorations, des disséminations, des prophéties autoréalisatrices. Par temps
calme trois bouteilles suffisent.
Mais quand le vent se lève…
Ne nous y trompons pas !
Faire muter les mèmes , même discrètement, même avec délicatesse (vous voyez
l’importance de l’accent sur la destinée d’un mot) reste un challenge.
Retournez au Musée du Louvre.
Méditez par exemple sur la peinture du 16ème. C’est plein de mèmes.
Les paysages, les personnages ne peuvent qu’appartenir à cette époque. Passez
dans les salles du 17ème. Hop, le mème a muté. On est passé à autre
chose. Qu’est-ce qui a provoqué cette mutation ? Dites-moi !
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